Crise céréalière : Eriger l’autosuffisance alimentaire en priorité nationale

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Depuis combien d’années remue-t-on ciel et terre pour sortir le secteur céréalier de sa crise persistante, cherchant par tous les moyens à atteindre l’autosuffisance en blé dur pour avoir des saisons record ? Il n’y a pas d’autres choix !

Au fil du temps, on se creuse la tête pour y arriver, mais les mains tremblantes n’écrivent pas l’histoire et ne prennent pas, non plus, la décision ferme. Sauf que l’on continue à promettre monts et merveilles, sans pour autant parvenir à mettre en place une stratégie adéquate de production. Pas de vision, pas d’action et encore moins de bons résultats !  Il n’y a pas trente-six solutions pour assurer notre sécurité alimentaire qui demeure une véritable gageure. Un défi en jeu, pour ainsi dire. Alors que la souveraineté des peuples en vaut bien la chandelle.

La nourriture, le nerf de la guerre

A l’aune de ces changements climatiques aux impacts visiblement redoutables, avoir ses réserves en céréales vaut mieux que de disposer d’un arsenal d’armes destructives. En fait, la nourriture est, semble-t-il, le nerf de la guerre. Que peut-on faire de l’argent si ce dernier n’est pas savamment investi pour rassasier les ventres creux et couvrir les besoins des agriculteurs en semences céréalières. Ventre affamé n’a point d’oreilles, dit le dicton.

Parlons-en ainsi, la Tunisie, ancien grenier de Rome, ne serait-ce que de beaux souvenirs renvoyés aux oubliettes. Ce qu’on cherche, désormais, à ressusciter. Mais, à quel prix et par quels moyens ? Et là, nous vient à l’esprit un simple raisonnement qui pourrait nous alléger d’un certain fardeau financier et rééquilibrer la balance commerciale dans le secteur céréalier. Au lieu d’importer des tonnes de blé, on aurait dû introduire des semences sélectionnées reconnues pour leur haute qualité de productivité et de résilience à la sécheresse et aux aléas du climat. Au fur et à mesure, l’Etat pourra ainsi constituer un stock stratégique, permettant de lui épargner le recours à l’importation du blé. Chaque année, on importe l’équivalent de 3 mille milliards de blé de consommation, pour pouvoir couvrir la moitié de nos besoins. Voilà où il faut faire des économies.

Ces variétés fortement sollicitées !

Ainsi, « Saragolla » et « Iride » —  inscrites depuis 2010 sur notre registre variétal officiel — sont l’exemple type des variétés de blé dur réussies en Tunisie, et dont la qualité boulangère n’est plus à prouver. Testées dans sept gouvernorats au nord et au nord-ouest du pays, elles font déjà preuve de rentabilité, et dont les résultats avaient dépassé toutes les prévisions. La récolte était, à l’époque, assez bonne, frôlant 70 quintaux par hectare. L’opération fut ainsi menée avec succès, sous le contrôle du ministère de l’Agriculture et des différents groupements agricoles relevant de l’Utap. En témoignent aussi les exploitants qui l’ont déjà expérimenté et mis leurs parcelles à l’épreuve. Imed Jamazi, agriculteur, membre de l’Utap de Jendouba, issu de Boussalem, est, lui aussi, pris à témoin : Sur 5 hectares de blé dur, cultivés en régime pluvial dont la semence utilisée était «Saragolla», la récolte a été plus de 415 quintaux de blé dur au total, soit 83 quintaux par hectare. Record battu ! Ceci étant, dans le cadre d’un projet de multiplication de cette variété — devenue tunisienne — relancé à l’initiative de son chef Abdelmonôm Khelifi, gérant de la Stima (Société tunisienne des intrants et matériels agricoles), comme un coup de pouce au partenariat public-privé, visant la réalisation de l’autosuffisance en blé dur. Kamel Beddouihech, céréaliculteur, à Béja-Nord, lui aussi, demande à ce que cette variété fort appréciée soit disponible en quantités suffisantes. «Saragolla est en mesure de fournir de 60 à 80 quintaux de blé dur par hectare, sous un régime pluvial.. », avoue-t-il, satisfait de sa récolte en 2024. « En irrigué, « Iride », tout comme « Saragolla » sont encore plus prolifiques et pourraient rapporter jusqu’à 90 quintaux/ha», renchérit son collègue Radhouane Bouguerra, exploitant agricole à Kairouan.

Et si cette variété semble trop sollicitée, pourquoi, alors, n’en importe-t-on pas de grandes quantités, afin de répondre à la demande d’un bon nombre d’agriculteurs ? L’Etat doit être conscient de ce dont on a besoin. On aurait tort de croire que nos semences céréalières traditionnelles, largement connues depuis l’indépendance du pays, sont d’origine tunisienne. Loin s’en faut ! Elles sont génétiquement non tunisiennes, mais plutôt indigènes du Chili, d’Australie, du Mexique et de France. Elles ont été améliorées, mais au fil du temps, elles ne sont plus  rentables. C’est pourquoi des études ont montré la nécessité de les remplacer par des origines génétiques modernes, à l’instar de ce qu’a fait l’Italie. Ceci fut, aussi, confirmé depuis 1986, par Abderrazak Daâloul, professeur de l’enseignement supérieur agricole et ancien Secrétaire d’Etat chargé des ressources hydrauliques et de la pêche. Mais, aucun ministre nommé à la tête de ministère de l’Agriculture n’a pris son courage à deux mains pour recentrer le débat sur la question de l’approvisionnement de semences de blé dur et les problèmes structurels auxquels fait face le secteur céréalier en Tunisie. Cela exige, certes, une bonne gouvernance et une gestion proactive du stock disponible, mais aussi un partenariat public-privé effectif et fructueux.

Quelles solutions à la crise céréalière ?

Car  atteindre l’autosuffisance en blé dur est, aussi, tributaire d’une bonne volonté politique qui voit grand et qui ne devrait, surtout pas, lésiner sur les moyens, afin de réguler l’approvisionnement du marché national en céréales. Dernièrement, la PDG de l’Office des céréales n’a pas mâché ses mots, déclarant que le stock de nos réserves de blé de consommation couvre à peine deux mois, après avoir été épuisé au cours de la saison écoulée. En effet, la faible quantité de semences disponibles n’excédant pas 300 mille quintaux pose problème, Elle suffit seulement pour cultiver environ 150 mille hectares sur une superficie nationale prévue, cette année, de plus de 1 million et 100 mille hectares, ce qui signifie qu’environ 950 mille hectares prévus pour les semis resteront sans semences éprouvées, sans pour autant couvrir les besoins des agriculteurs.

Comment s’en sortir ? L’exploitation judicieuse des terres domaniales (environ 156 mille hectares éparpillés) comme champs d’essais et d’expérimentation de nouvelles variétés prouvées telles que celles précitées «Saragolla» et «Iride», et le fait d’allouer un millier d’hectares  de ces terres dans chacune des zones agricoles les plus productrices de blé pourraient être des solutions à la crise céréalière. Autre alternative et non des moindres : l’investissement dans la recherche agricole et scientifique appliquée s’inscrit aussi dans la perspective de sécurité alimentaire et stabilité économique. A quoi s’en tient, d’ailleurs, la PDG de l’Iresa (Institution de la recherche et de l’enseignement supérieur agricole), Zohra Lili Chaâbane. Lors de sa rencontre, récemment à Tunis, avec PSB, obtenteur italien de semences de blé, le gérant de la Stima, ainsi qu’un nombre de céréaliculteurs, elle a insisté sur la recherche agricole appliquée, sa faisabilité et son efficacité, à même d’assurer une certaine indépendance alimentaire.

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